Robert Combas
juil. 24, 2025

Robert Combas

Entretien par Maria João Fernandes

Il est un privilège d’écouter l’un des protagonistes de l’art de notre temps, créateur d’un mouvement qui a influencé les orientations de la figuration contemporaine, libérée de tous les préjugés de soumission aux apparences, dans une vision interculturelle intégrant des courants emblématiques de la culture de notre époque et une expérience urbaine, comme la bande dessinée, le graffiti, la science-fiction, la culture pop et rock, auxquelles s’ajoutent la culture populaire, les dessins d’enfants.

 

Comment définiriez-vous à la première personne le mouvement « figuration libre » que vous avez fondé dans les années 80 avec Hervé Di Rosa, Ben et d’autres artistes ?

C’est l’artiste Ben qui a trouvé le nom Figuration Libre. Il correspondait à la peinture que nous faisions. Nous étions de jeunes marginaux qui aimaient le rock, l’underground, les cultures populaires, l’art brut, le magazine Harakiri… Nous venions de Sète, de milieux populaires. À la fin des années 70, avec Hervé Di Rosa et Ketty Brindel, nous avons créé la revue BATO – "revue d’art assemblagiste faite à la main, 100 exemplaires" – qui réunissait plusieurs participants et révélait notre goût pour l’absurde, le décalé, le mal dessiné, le mal peint. Parallèlement, j’ai créé le groupe musical Les Démodés avec Ketty Brindel et Richard Di Rosa, connu sous le nom de "Buddy". Ce groupe était aussi, pour moi, un manifeste de cette création libre. Nous n’étions pas musiciens, mais cela ne nous a pas empêchés de faire de la musique. Nous avons voulu imposer nos défauts sans complexes, pour qu’ils deviennent des qualités. C’est un peu ce qu’est Figuration Libre : faire avec ce que l’on a, qui à l’époque était très peu, mais le faire avec sérieux, beaucoup de travail et d’ambition.

 

 

Robert Combas, « Le rêve Paradis + Cauchemar », 1988, acrylique sur toile, 198 × 148 cm

  

 

On vous a attribué diverses influences telles que celles des artistes américains Keith Haring et Jean‑Michel Basquiat, que vous contestez à un moment donné. Quelles sont vos influences assumées, si vous en avez, dans la peinture ou la littérature ? Que nous disent vos hommages à Matisse et Toulouse‑Lautrec ou la référence à Van Gogh à cet égard ? D'où vient votre système très personnel et très original de représentation ?

Comment peut-on être influencé par des artistes qui sont apparus après nous ? En 1980, j’ai terminé mon diplôme à Saint‑Étienne. Bernard Ceysson, alors directeur du musée de Saint‑Étienne, a remarqué mon travail et m’a proposé de participer, à l’automne 1980, à l’exposition « Après le classicisme », qui présentait les mouvements émergents de retour à la figuration en Allemagne, en Italie, en France et aux États-Unis. Y figuraient des artistes comme David Salle, Francesco Clemente, Julian Schnabel… Keith Haring ou Jean‑Michel Basquiat n'étaient pas encore apparus ! Même les institutions, qui devraient veiller à la vérité historique, ont contribué à nous faire passer pour des versions mineures des Américains – c’est quelque chose qui nous pèse beaucoup. Nous partagions avec ces peintres graffiti américains des préoccupations communes comme la musique, la relation au public, la dé-sacralisation de l’art, la drogue (aujourd’hui nous pouvons le dire)… En France, nous ne pouvions rivaliser avec la puissance économique de l’Amérique, et le phénomène du rap a été associé à cette peinture américaine. Eux ont été des étoiles filantes, ils sont morts très jeunes, comme des icônes. Nous, nous avons dû vivre, durer, apprendre à vieillir. Et ce n’est pas facile de vieillir avec notre peinture. Les autres peintres que vous évoquez sont des maîtres majeurs, auxquels je rends hommage par des expositions ou des tableaux, mais avec lesquels je ne me compare pas.

 

 

Ma peinture est rock, je l’ai dit et je continue de le dire.

 

 

Vous avez toujours privilégié votre lien avec la musique, allant jusqu’à affirmer « ma peinture, c’est du rock » et rappelons à ce propos le titre de votre exposition en 2012 au Musée de Lyon : Greatest Hits. Comment cette passion pour la musique se reflète-t-elle dans votre œuvre ?

Ma peinture est rock, je l’ai déjà dit et je continue de le dire. Ma peinture est libre, il est très rare que je fasse des esquisses préparatoires, je ne sais pas où je vais, il y a beaucoup d’improvisation, mais je pars toujours d’une bonne base rythmique, issue de mon énergie et de mon métier, et d’une ligne mélodique qui est le récit. Je pense pouvoir dire, sans prétention, que je suis le peintre qui a abordé le plus de thèmes différents (sacrés, triviaux, imaginaires, historiques…). Depuis le début des années 2010, je continue à jouer de la musique avec mon groupe de rock et performances visuelles Les Sans Pattes (avec Lucas Mancione, et plus récemment Lionel Martin, Marc Duran et Olivier Chambriard). Musique et peinture se mêlent totalement dans ces performances, où des images de mes tableaux sont projetées sur scène et sur nos corps.

 

 

 

Robert Combas, « L’Archange – Celui qui a vaincu le dragon de l’Apocalypse et a jeté Lucifer sur Terre », 1995, acrylique sur toile, 210 × 127 cm

 

 

Vous êtes unanimement considéré comme le grand lien à un espace urbain. Comment définiriez-vous votre relation à la nature ?

Il n’y a pas de règles. Ma peinture puise davantage ses influences dans l’urbain, dans la société, mais je ne suis pas un street artist. J’ai intégré l’école des Beaux‑Arts à neuf ans, à Sète, et j’en suis sorti avec mon diplôme à 23 ans. Nous avons emporté l’art dans la rue, mais nous ne peignions pas dans la rue. De même, j’aime l’art brut, je m’en sens proche dans ma démarche d’artiste, mais je n’en suis pas un représentant. Je peins des fleurs et des animaux depuis toujours. Et encore davantage depuis que je vis principalement à Sète – cela remonte au début des années 2010. Parce que le jardin autour de ma maison et de mon atelier est luxuriant. Cette profusion de fleurs se mêle à une profusion d’armes et aux fracas de mes batailles. Mais aussi à la profusion des sexes féminins : pétales, pistils, sépales, étamines… Guerre et Amour.

 

Quel est le sens de l’évolution de votre œuvre, depuis les séries initiales – « Battles » de 1977, Mickey Mouse et « Arab Pop Art », jusqu’à des œuvres aussi remarquables que Le Fakir (1982, musée d’art de Toulon), Le Phoenix Contemporain (1989) ou L’Archange (2010) ? En d’autres termes, vers où se dirigent votre style et votre vision du monde ?

Ma peinture évolue et « dévolue » en même temps. Lorsque je commence un tableau, j’ai l’impression d’avoir tout oublié et de ne plus savoir rien faire. Tous les thèmes m’intéressent, sans hiérarchie. Tout peut être matière à peinture. J’aimerais trouver de nouvelles voies, ne pas me laisser enfermer par le contour noir qui est ma signature. J’ai encore l’espoir d’y parvenir.

    

 

C’est une nature-morte vivante. La violence est présente parce que tout ce que l’on peut penser comme beau et pacifique est menaçant ou menacé.

 

 

Dans le contexte très particulier de votre peinture, que pensez-vous capter dans vos images ?

Mon ami Michel Onfray a écrit, dans le livre *Un chaman nommé Combas*, que j’étais un sismographe. J’aime cette définition. Je crois que je capte des sensations, des intuitions, des émotions, des pulsations qui ont besoin d’être traduites dans mes tableaux.

 

La guerre est un thème récurrent dans votre peinture. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

L’amour est central dans mon œuvre et dans ma vie. Je me sens proche du romantisme, même si cela surprend. Et je peins des batailles depuis toujours parce que la guerre est toujours présente quelque part. Et pour un peintre, la bataille est un sujet complet : vie et mort, le corps, la peur, la cruauté, la souffrance… C’est aussi une manière d’affronter l’histoire, la peinture historique, l’histoire de l’art. Ma peinture est devenue avec le temps plus complexe, elle n’est pas binaire, tout se mélange et s’entrelace. J’ai également un véritable goût pour les détails, les costumes, les armes, les armures, les ornements. Le thème de la bataille est parfait pour ma peinture.

 

ÉDITION CPS

Robert Combas, « La fête des fruits. Trois poires, une pastèque et une boîte en bois ! La tête en bois a cassé une dent en mangeant des amandes amères », sérigraphie, 56 × 69 cm, Édition de 100 exemplaires, 2025

 

 

Tout a-t-il déjà été exploré dans l’art ? Qu’est-ce qui vous reste à faire et à dire ?

Je ne sais pas ce qu’il reste à dire dans l’art. Il y a des arts qui perdurent, d’autres qui s’oublient rapidement. Ce n’est pas nous qui décidons. Je reste un homme du XXᵉ siècle, je n’aime pas ce monde numérique. Je cherche à rester fidèle à moi‑même, avec les moyens modestes que j’ai, continuer à travailler et à être honnête.

 

Quel est selon vous le sens de la distinction abstraction-figuration et de l’entrée dans la création artistique de l’univers numérique ?

Je ne crois pas plus à la figuration qu’à l’abstraction. Ce qui compte, c’est la force des œuvres. Avec les nouvelles technologies, tout le monde voudra devenir artiste. C’est un métier d’avenir.

 

Votre peinture obéit-elle à la logique d’un univers construit malgré la sensation de chaos qu’elle communique parfois ? Êtes-vous d’accord ?

Ma peinture n’est pas toujours un chaos. Je tiens à donner un titre à chaque œuvre – comme si on laissait là un indice, une suggestion poétique.

 

Votre édition actuelle pour le Centre Portugais de Sérigraphie pourrait-elle représenter un pas vers une plus grande proximité avec notre pays ?

C’est une nature-morte vivante. La violence est présente parce que tout ce que l’on peut penser comme beau et pacifique est menaçant ou menacé.

 

Cette collaboration avec le plus grand éditeur d’art de notre pays pourrait-elle ouvrir la voie à une plus grande proximité avec la culture portugaise ?

Je me sens un homme du Sud. Ma peinture part de la couleur, des contrastes. Elle est humaine. Elle parle des humains. Elle rapproche les humains. Elle peut parler à tout le monde.

 

Photographie de l’artiste : Geneviève Combas